La sénatrice UDI d’Ille-et-Vilaine Françoise Gatel porte avec plusieurs collègues une proposition de loi visant à faciliter la mise en application du « zéro artificialisation nette ». Dans cet entretien, elle revient dans les grandes lignes sur les enjeux qui découlent de ce dispositif.
Pouvez-vous nous rappeler les grands enjeux liés à la préservation des terres et à la non artificialisation des sols ?
La sobriété foncière est primordiale car nous devons veiller à notre indépendance alimentaire et prêter une attention beaucoup plus soutenue à la biodiversité.
C’est dans cette perspective que la loi climat-résilience a fixé l’objectif d’un « zéro artificialisation nette » d’ici 2050, autrement dit un gel des terres et du foncier existant. Or la déclinaison de cet objectif, au travers des décrets d’application, s’est avérée brutale et mal évaluée, en atteste l’absence préalable d’étude d’impact et l’avis négatif émis par le Conseil national d’évaluation des normes. On peut déceler deux effets pervers dans cette mise en œuvre.
D’une part, elle met à mal l’équilibre territorial. Entre 2021 et 2031, les communes doivent réduire de moitié le rythme d’artificialisation de leurs terres. Cette règle comporte un grave écueil : les communes ayant été les moins consommatrices de foncier n’auront plus la possibilité de construire à l’avenir ! On risque donc d’aggraver la fracture territoriale, avec une concentration des logements dans les villes. Si les communes ne peuvent plus proposer des logements, cela entraînera plus largement le déclin de l’activité et de l’attractivité de ces territoires. La loi ne doit pas condamner l’espace rural et périurbain.
D’autre part, elle vient en contradiction avec trois enjeux majeurs :
• La volonté de parvenir à une souveraineté industrielle, ce qui implique de prévoir de l’espace pour installer les locaux industriels ;
• L’accès au logement. Même dans les territoires où la population est stable, voire diminue, il nous faut plus de logements pour répondre à différents phénomènes sociétaux : la décohabitation, le vieillissement de la population, l’émancipation des jeunes notamment. Un autre facteur doit être pris en compte : l’interdiction à venir de la mise en location des passoires thermiques. Il est probable qu’un certain nombre de propriétaires ne soit pas en capacité financière de les rénover, ce qui va impacter l’offre de logement.
• Enfin la question des infrastructures, dont la construction appelle une emprise foncière importante.
Le Sénat, alerté notamment par les élus locaux, a souhaité mettre en lumière ces difficultés et proposé des ajustements.
Vous êtes cosignataire d’une proposition de loi « visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de zéro artificialisation nette au cœur des territoires ». Quelles sont les principales dispositions de ce texte ?
Pour parvenir à nos préconisations, nous avons réalisé beaucoup d’auditions ce qui nous a permis d’aboutir à des mesures de bon sens ! Prenons l’exemple des projets d’envergure nationale portés par l’État : il nous paraît légitime que l’enveloppe foncière consommée à cette fin ne soit pas imputée au potentiel des territoires concernés. Par ailleurs, dans une logique d’équilibre territorial, nous suggérons de garantir à chaque commune une capacité de construction d’au moins un hectare, afin d’éviter le risque d’une impossibilité de construire que j’évoquais précédemment.
En outre, il convient de permettre aux élus de maîtriser davantage le rythme d’artificialisation. À cette fin, nous souhaitons leur octroyer un sursis à statuer et un droit de préemption spécifique sur certains projets. Ils doivent également être replacés au cœur de la gouvernance. Nous proposons la mise en place d’une conférence territoriale à l’échelle régionale associant les représentants des communes et intercommunalités.
Pouvez-vous nous indiquer où nous en sommes du processus législatif ? Sachant, qu’en parallèle, les députés de la majorité présidentielle ont déposé une proposition de loi sur le même sujet. Comment l’initiative sénatoriale va s’articuler avec le texte des députés ?
Notre texte, examiné à la mi-mars, présente l’intérêt d’être issu des travaux d’une mission transpartisane. La majorité des groupes politiques au Sénat sont conscients des difficultés que pose la mise en œuvre de l’objectif de « zéro artificialisation nette ». Si nous avons des divergences avec le texte élaboré par les députés, le point positif c’est qu’il y ait une prise de conscience du côté de l’Assemblée nationale ! Le Ministre a également perçu ces difficultés.
Aujourd’hui, on est dans une réelle impasse, d’autant que les préfets ont accéléré la mise en place du dispositif dans certains territoires ! Il est urgent d’avancer, sachant qu’en 2024, les documents à l’échelon régional deviendront opérationnels. Donc nous avons moins d’un an pour agir et relever de façon efficace l’enjeu lié à la sobriété foncière. Par ailleurs, je suis favorable à une clause de revoyure car à partir de 2031, en l’état actuel des dispositions, il ne sera plus possible de construire pour certaines communes.
Au-delà des dispositions de cette proposition de loi, le « zéro artificialisation nette » suppose que tous les professionnels de la construction travaillent de concert sur de nouvelles formes urbaines. Il est également important que le Gouvernement communique sur ce sujet vis-à-vis de la population.
Crédit photo : ©Sénat